
Un tribunal français a statué : les biens ecclésiastiques prérévolutionnaires à Nice
sont réconnus propriété de la Russie
En 1868, en mémoire du tsarévitch, une grande chapelle fut érigée à Nice, inaugurée par le père du dernier empereur russe – le grand-duc Alexandre Alexandrovitch, entré dans l’histoire sous le nom de Tsar-Pacificateur.
La cathédrale Saint-Nicolas fut construite en 1912, également en mémoire du tsarévitch défunt, qui était l’oncle de l’empereur Nicolas II, commanditaire de la cathédrale.
Dans le litige judiciaire avec l’Association cultuelle orthodoxe ACOR, l’État russe agissait en tant que successeur légal de l’Empire russe et du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe. C’est précisément le Saint-Synode, et non la communauté paroissiale locale, qui était propriétaire ou gestionnaire de la cathédrale Saint-Nicolas de Nice ainsi que d’autres sanctuaires religieux sur la Côte d’Azur.
Des décisions de justice en appel et en cassation concernant la cathédrale furent rendues respectivement en 2011 et 2013, mais la situation juridique de trois parcelles attenantes restait en suspens. En 2014, l’ambassadeur de Russie en France, Alexandre Orlov, signa un acte notarié à caractère essentiellement déclaratif : celui-ci établissait la continuité des droits de propriété de l’État russe sur ces terrains, étroitement liés à la cathédrale. Une large allée menant à l’église passait entre deux de ces terrains, et le troisième, servant d’accès latéral au sanctuaire, avait été offert à l’Église orthodoxe russe par M. Gay, propriétaire de l’immense hôtel de luxe « Le Parc Impérial », dont le nom fut donné à la rue voisine.
Cette même année 2014, M. Orlov signa également les actes notariés relatifs à la première église russe des saints Nicolas et Alexandra, édifiée à l’initiative et avec le soutien financier de l’impératrice douairière Alexandra Feodorovna, épouse de Nicolas Ier. C’est grâce à son apport financier que fut acquis le terrain sur l’actuelle rue Longchamp. Les proches de la Cour et les rares membres de la colonie russe réunirent rapidement les fonds nécessaires à la construction de l’église.
Notons cependant que cette église n’était pas le plus ancien édifice religieux russe d’Europe occidentale. Les premières églises avaient été construites bien avant en Allemagne, patrie d’origine de certaines impératrices et aristocrates de haut rang. L’église de Nice fut ouverte au début de janvier 1860, et cette même année, à Paris, fut consacrée la nouvelle église Saint-Alexandre-Nevski, rattachée à l’ambassade russe. Le nom de l’église russe de Nice rendait hommage à l’empereur Nicolas Ier et de son épouse Alexandra Feodorovna, fondatrice de l’édifice religieux.
Mais comment le bien de l’Église orthodoxe russe – ou plus exactement de son organe dirigeant, le Saint-Synode – s’est-il retrouvé entre les mains d’une certaine association qui a rompu ses liens avec l’Église russe, d’abord formellement en 1931, puis définitivement en 2019, en passant sous la juridiction du Patriarcat de Roumanie ? L’histoire est complexe.
Dans les années 1920, les paroisses russes à l’étranger se retrouvèrent pratiquement coupées de leur Patrie, en raison des répressions massives exercées par le nouveau pouvoir contre l’Église. Afin de préserver leur unité, le saint Tikhon, patriarche de Moscou, envoya à Paris le métropolite Euloge (Guéorguievski), chargé de l’administration des paroisses à l’étranger, en particulier en France. Selon lui, chaque paroisse devait se constituer en une nouvelle entité juridique afin d’éviter toute confiscation de biens par les autorités françaises.
C’est ainsi qu’à Nice, en 1923, fut créée l’Association cultuelle orthodoxe russe (ACOR). Ses statuts précisaient qu’elle relevait de l’autorité ecclésiastique du métropolite Euloge et de Sa Sainteté Tikhon, patriarche de Moscou et de toute la Russie. En 1927, le métropolite délivra à l’association, comme à d’autres paroisses de France, une procuration écrite lui conférant le droit de gérer les biens existants, mais – fait essentiel – sans en être propriétaire. C’est ce document que les dirigeants actuels de l’association ont présenté au tribunal.
Cependant, dès 2013, la Cour de cassation française avait estimé que cette procuration ne conférait aucun droit de propriété, d’autant que Mgr Euloge, nommé par Moscou, n’était pas lui-même propriétaire et ne pouvait donc transmettre ce qu’il ne possédait pas.
En 2021, le tribunal de première instance reconnut que l’association ACOR n’avait jamais été propriétaire, n’étant qu’un simple gestionnaire, mais estima qu’elle aurait pu acquérir certains droits de propriété par prescription. Il admit cette possibilité pour l’église et le cimetière, sauf pour les trois parcelles situées autour de la cathédrale Saint-Nicolas.
La cour d’appel confirma ensuite que l’association, en tant que gestionnaire, ne pouvait devenir propriétaire, surtout qu’elle ne possédait aucun titre de propriété, alors que tous les actes notariés d’acquisition des biens concernés avaient été rédigés bien avant sa création. Quant aux parcelles, elles avaient été enregistrés au nom du Saint-Synode de Russie à une époque où existaient déjà des associations cultuelles en France, conformément à la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, qui exigeait la transformation des anciennes paroisses en « associations cultuelles ». Que cela voulait dire ? Cela démontre, en réalité, le fait que les autorités ecclésiastiques et civiles russes ne souhaitaient aucunement transférer la propriété à une entité juridique française, quelle qu’elle soit.
Depuis la création des associations cultuelles il y a cent ans, des pratiques étrangères à la tradition orthodoxe se sont malheureusement développées. Des marguilliers ont reçu des responsabilités qu’ils n’étaient pas toujours capables d’assumer dignement. L’entité juridique s’est parfois substituée à la paroisse elle-même. En réalité, l’organisation canonique orthodoxe ne connaît pas la notion d’« association » où des laïcs prendraient des décisions essentielles dépassant leur compétence. Un tel système fut imposé artificiellement par le pouvoir soviétique à l’époque de Khrouchtchev, qui, en évinçant le clergé de la gestion des paroisses, cherchait à miner l’Église de l’intérieur. Ainsi, toutes les décisions cruciales étaient prises par des marguilliers et des « conseils des vingt ». À Nice, ce fut précisément un tel abus de la loi sur les « associations » qui eut lieu : la paroisse des saints Nicolas et Alexandra, sur décision de son marguillier et de ses proches, rejeta l’autorité de son évêque et se rattacha à la métropole de l’Église roumaine, qui, dans les faits, était incapable d’assurer un quelconque contrôle ecclésial.
À notre connaissance, au cours des six années où l’église de la rue Longchamp releva de la juridiction roumaine, aucun évêque roumain, ni même un prêtre délégué, n’y mit jamais les pieds. Après le retour de l’Archevêché de Paris (anciennement dépendant de Constantinople) dans le giron de l’Église-mère russe en 2019, seules deux paroisses passèrent à l’Église roumaine – à Bruxelles et à Nice – toutes deux liées à une même famille qui concentra tout le pouvoir entre ses mains.
Ainsi, l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence a permis de rétablir à Nice un fonctionnement ecclésial normal, tel qu’il existait avant les années 1930 et, plus largement, jusqu’à la fin des années 1990, lorsque l’Archevêché était dirigé par Mgr Serge (Konovaloff), partisan convaincu de l’unité de l’Église russe dans le nouveau contexte historique.
Les changements importants qu’a connus la vie ecclésiale depuis 35 ans ont échappé à une ACOR repliée sur elle-même, coupée de sa Patrie, et focalisée sur l’appropriation matérielle de l’héritage légué par nos ancêtres dévoués à la Russie – des figures comme, par exemple, le prince S. M. Golitsyne, bâtisseur d’églises à Cannes et Nice. N’ont-ils pas œuvré pour toutes les générations de Russes orthodoxes, y compris pour les fidèles de toute origine, attachés à la tradition ecclésiale russe ? Tous leurs efforts auraient-ils été faits pour que les fruits de leur travail soient accaparés par un petit groupe de sectaires politisés et russophobes ? La situation paradoxale, où l’on compte à Nice actuellement trois églises roumaines (en tenant compte du nouveau et magnifique édifice en construction, ainsi que des deux églises situées rue Longchamp et au cimetière de Caucade), ne pouvait être perçue comme normale ni juste.
C’en est d’autant plus précieux et significatif que la rigueur et l’impartialité de la formation de jugement ont clairement et de manière convaincante démontré, dans un arrêt de 42 pages, l’inconsistance des arguments ainsi que les emportements émotionnels de l’association, laquelle, malgré toutes ses possibilités, n’a pas été capable, en plusieurs décennies d’existence, de construire ne serait-ce qu’une maison paroissiale.
Compte tenu de l’expérience constructive des paroisses russes au cours des trente dernières années en Europe occidentale, il ne fait aucun doute que la Russie et l’Église russe veilleront au mieux à la préservation de leur patrimoine spirituel et culturel national à Nice et ailleurs, en étroite collaboration avec les autorités municipales et régionales des Alpes-Maritimes et de la Côte d’Azur.
mai-juillet 2025
Note historique
Le terrain destiné à l’église Saint-Nicolas-et-Sainte-Alexandra à Nice fut acquis en 1857, puis agrandi en 1902 avec l’approbation des autorités ecclésiastiques russes et de l’empereur Nicolas II. C’est précisément en avril 1857 que l’impératrice Alexandra Feodorovna, alors présente à Nice, fit don de 8 000 francs, somme avec laquelle le terrain fut acquis. En une seule soirée, le 20 avril, elle collecta 20 000 francs supplémentaires par souscription. Elle chargea immédiatement le comte Ernest Stackelberg, ambassadeur de Russie auprès de la Cour de Sardaigne, de procéder à l’achat du terrain.
Le 2 mai, la parcelle fut achetée aux frères Tiranty. Rien qu’en 1857, 40 000 francs furent collectés pour l’église de Nice, auxquels s’ajoutèrent 8 000 francs collectés à Saint-Pétersbourg. Sur ordre de l’impératrice, le comte de Stackelberg forma une commission de construction, comprenant notamment le consul russe Alexandre Grieve. La pose de la première pierre eut lieu le 14 décembre 1858. L’église fut construite dans des délais extrêmement courts pour être prête à l’arrivée de l’impératrice à Nice pour la saison hivernale, et elle fut consacrée le 12 janvier 1860 selon nouveau style.
L’impératrice fit personnellement don d’une iconostase en chêne sculpté, ornée d’icônes précieuses, acheminée de Saint-Pétersbourg à Villefranche à bord de la frégate russe « Olaf ».
En 2021, les plans de l’église des saints Nicolas et Alexandra, provenant des fonds du Musée d’État d’Architecture A. V. Chtchoussev, furent présentés lors de l’exposition "La Russie et la France : dix siècles ensemble", au Kremlin de Moscou.
Le terrain du cimetière russe Saint-Nicolas, situé dans le quartier de Caucade à Nice, fut acquis en 1867 grâce à l’initiative du prêtre, du marguillier de la paroisse et du consul russe à Nice, Oscar de Patton. Tous trois signèrent l’acte d’achat le 5 janvier. L’idée de créer ce cimetière revint à ces mêmes trois personnes, qui adressèrent une lettre au préfet des Alpes-Maritimes le 22 juin 1866.
Parmi les tombes du cimetière figurent notamment celles la princesse Ekaterina Yurievsky, épouse morganatique de l’empereur Alexandre II, du général Nikolaï Yudenitch, de l’écrivain Mark Aldanov, des poètes Bekhteïev et Adamovitch.
Le cimetière abrite également un joyau de l’architecture : la chapelle-mausolée de Natalia Chabelsky, conçue dans style Art nouveau russe par Alexeï Chtchoussev. Réalisée à Moscou, elle fut érigée à Nice en 1907.